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En mémoire du 12 juillet
Le 12 juillet n’est pas une date comme les autres. Pour la majorité d’entre nous, elle représente l’éclatante victoire de l’équipe de France de football pendant la coupe du monde de 1998. Nous avons encore en mémoire cette immense foule bigarrée rassemblée dans les centres-villes pour clamer haut et fort son enthousiasme. Sur les Champs-Elysées, c’était impossible de ne pas se faire piétiner par ses voisins tant la densité humaine au mètre carré était démesurée. Ce jour-là, avec mes vieux copains, nous avions été boire une petite mousse place de St Cloud afin de marquer le pas.
Mais le 12 juillet, c’est aussi pour moi, une autre date anniversaire. Celle d’une personne chère qui a tragiquement disparu il y a deux ans. J’oubliais parfois de célébrer son anniversaire alors qu’il était encore de ce monde. Je l’appelais de temps en temps pour prendre de ses nouvelles. Je m’invitais dans son coin calme de la Suisse Normande où il avait choisi de s’installer définitivement au lendemain de sa retraite. Après un tour du village et un petit bonjour chez l’éleveur de chèvres, l’activité en sa compagnie se limitait à bien manger, boire, regarder le sport à la télé et dormir jusqu’au chant du coq. Je m’ennuyais au bout de deux jours, alors je lui donnai rendez-vous l’année prochaine. J’aurais tant aimé qu’il fût présent le jour de mon mariage. Mais une chute fatale de vélo l’avait déjà emporté au paradis des belles âmes. Ce 12 juillet, nous décidâmes, ma femme et moi, de venir le saluer devant sa dernière demeure, dans ce petit cimetière où il passe l’éternité. Le village s’appelle Lassy. Dans le Calavados. Les paysans y sont les rois. Les habitants vieillissent tout seuls dans leur masure au milieu de laquelle trône le vieux poêle indéboulonnable. Quand je l’accompagnai rendre visite à ses voisins à qui il avait pris l’habitude de donner des coups de main, j’avais l’impression de faire un voyage dans le temps. Une odeur d’autrefois imprégnait immédiatement mes vêtements une fois le pallier franchi. Une vieille grand-mère attendant la mort en sirotant un calvados maison vous accueillait en vous proposant de remettre du bois dans le poêle pour refaire bouillir le café du matin. L’horloge en chêne remontée tous les jours, à la même heure, quand il est temps d’aller se coucher, faisait entendre son battement de pendule durant les longs silences qui accompagnaient une discussion interminable sur la santé des vaches. Le fils aîné resté célibataire arrivait à l’improviste en tenant une malheureuse poule à qui il venait de tordre le bec. Et nous reprenions du café en son honneur en y trempant des gâteaux secs restés au fond d’un tiroir. Quand il leur disait que je venais de Paris, les bougres me dévisageaient avec des yeux amusés comme des enfants qui s’approchent pour la première fois d’un animal sauvage. Nous nous recueillîmes quelques instants. J’imagine l’état de son corps. En décomposition totale. Dans le noir du cercueil scellé avec renfort. Le néant de la mort ou le miracle du paradis ? Son âme nous accompagne. Elle voit que nous pensons encore à lui malgré le décalage de la vie. A tout jamais, dans cette dimension à laquelle on s’accroche pour ne pas avoir peur le moment venu. Est-ce que je le retrouverais intact, le plus tard possible ? Je m’en veux d’être si terre à terre. Ecrit par Raskolnikov, le Jeudi 14 Juillet 2005, 11:27 dans la rubrique "Personnel".
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