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Le Guillebaud nouveau est arrivé
Il n’y a pas que le beaujolais nouveau qui retient mon attention lorsque, à grands renforts de publicité, on annonce sa sortie des caves pour le zinc des bistrots. Il peut y avoir aussi un livre, celui d’un journaliste, un grand témoin de son temps, dont les analyses perfides et réfléchies constituent un rafraîchissement pour le citoyen moyen que je suis.
A chaque nouveau livre de Jean-Claude Guillebaud, je bondis de ma chaise pour courir en direction de la première bonne librairie afin d’en faire l’acquisition. Je ne me contente pas de le placer en évidence dans ma bibliothèque pour impressionner mes visiteurs sur ma promptitude à suivre l’actualité littéraire, je le lis avec passion, dans le métro, sur mon canapé et dans les toilettes. J’essaie d’y trouver quelques réflexions qui me permettront de mieux tenir debout dans ce monde vertigineux où il est de plus en plus facile de chanceler.
J’ai l’impression d’avancer avec clairvoyance à travers les lignes de ses ouvrages. Tout me paraît plus clair pour échapper aux raccourcis élémentaires de la pensée manichéenne.

Il faut lire La traversée du Monde, qui est un recueil de ses principaux textes de voyage. En suivant la route des croisades, ou en traînant dans les rues abandonnées d’Irkoutsk, le lecteur appréhende mieux les changements du monde. Nous sommes ici à mille lieux du sourire pathétique de Jean-pierre Pernaud quand il lit son prompteur.
La refondation du monde, La Tyrannie du plaisir, Le goût de l'avenir, ses principaux ouvrages seront des références dans les dizaines d’années qui viennent pour les chercheurs en quête d’analyse sur la période hystérique que nous sommes en train de vivre.

Cette semaine, il était l’invité des matins de France Culture.
Il vient présenter son dernier libre, la Force de conviction, dont la lecture est indispensable pour qui recherche un affranchissement des pièges de ce monde.
Laissons lui la parole sur quelques sujets d’actualité qui nous préoccupent.



Les croyances

Il y a une très belle expression de Cornelius Castoriadis dont l’idée est que la croyance est un pont que nous jetons sur l’abîme du monde. Par la croyance, nous jetons un pont sur la méconnaissance, l’indéchiffrable, l’inconnu. Une fois ce pont jeté, il y a deux façons de le traverser. On peut le traverser les mâchoires serrées et les yeux fermés, comme un char d’assaut., en refusant de voir qu’à droite et à gauche on côtoie l’abîme du doute. Autrement dit, on peut se dogmatiser pour se rassurer. C’est le fanatisme.
On peut avoir aussi l’héroïsme de traverser ce pont les yeux ouverts. J’ai fait le choix de cette conviction, mais je sais qu’elle est imparfaite. Et je sais qu’à droite et à gauche, il y a le doute.
Je suis capable d’être ferme dans mes convictions tout en étant ouvert et attentif à d’autres croyances. C’est cela la tolérance.

Contrairement à ce que l’on croit c’est lorsqu’une croyance a fait le choix d’être ferme qu’elle peut s’ouvrir aux autres, qu’elle peut-être tolérante. Les croyances faibles, les croyances incertaines engendrent le dogmatisme et le fanatisme. Ce ne sont pas les vieux musulmans qui fument leur narghilé au bord du Nil qui deviennent des terroristes, mais des gens qui ont rompu avec leur culture d’origine, qui sont habités par une sorte d’islam décomposé, qui sont fragiles dans leur croyance et qui s’accrochent à je ne sais quelle littéralité

Les hommes politiques

Les universités d’été de nos partis politiques : quel désastre ! Quel vide ! Quelle médiocrité ! Pas une idée. Pas une problématique concernant le monde nouveau qui est en train d’émerger. Je distribue ces cartes aussi bien à gauche et à droite. Une démocratie ne peut pas fonctionner comme cela en ayant remplacé les idées par des rivalités de personne.

L’économie libérale

Le MEDEF nous promet de réenchanter le monde. Je me méfie de ce verbe réenchanter. Car cela peut vouloir dire aussi convoquer les superstitions, les fétichismes, les idoles. Un monde enchanté c’est un monde prosterné devant les idoles, et dieu sait qu’en économie, il y en a des idoles. Les grandes idéologies du vingtième siècle nous ont appris que l’on réenchante le monde que dans la terreur.

Nous avons assisté durant ces dernières années à une dogmatisation de la pensée libérale, ce qui est en contradiction avec ses propres postulats. Le libéralisme doit être plutôt la libre discussion.
Cette dogmatisation du libéralisme, c’est la perte du libéralisme. L’une des utopies libérales est de dire qu’il est moins dangereux de défendre des intérets que des convictions. Ce n’est pas vrai.


Les médias

Les médias donnent l’impression de décrire le monde alors qu’en réalité ils ne font que colporter des croyances, mais des formes de croyances dégradées. Ce sont des engouements. Le politiquement médiatique change toutes les semaines pratiquement. C’est une forme reptilienne de la croyance mais qui est en même temps très violente. Ces engouements fragiles, assez peu réfléchis, versatiles, changeants, sont en même temps impérieux. Ce sont des injonctions. Vous vous faites engueulés si vous ne pensez pas comme cela. Le discours médiatique est à la fois très appauvri et très impérieux.. Donc c’est la pire des choses.
« L’univers médiatique c’est comme un ordinateur dont on vidangerait la mémoire tous les mâtins »a écrit Serge Daney.
On fait comme si tous les jours on redécouvrait le monde avec une sorte de naïveté candide. On n’a plus d’attachement, de fidélité, à une croyance, à une conviction. On est dans le sautillement vertigineux. S’il y a une désaffection tendancielle du public pour les médias en général, c’est en partie à cause de cela.
Ecrit par Raskolnikov, le Mercredi 31 Août 2005, 17:17 dans la rubrique "Philosophie".