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Où est mon PC?
A mes deux plus fidèles lecteurs, «ils se reconnaîtront», je dois quelques explications sur le mutisme de ce blog depuis plusieurs semaines. Je devine que vous êtes en manque de mes aventures, que vous vous faîtes un sang d’encre en imaginant le pire. Mais je vous rassure : Je n’abandonne pas la partie, à l’instar d’Olivia qui vient de conclure la sienne.
Je vais me remettre à l’œuvre aussitôt que mon cerveau aura repris une température normale. Car, comme je le laisse entendre dans mon dernier article, j’ai toujours la pâte à neurones comme un plat cuisiné après son passage dans le four micro-ondes. Je peux faire cuir un œuf sur mon crâne dégarni tant il est en surchauffe depuis que j’ai commencé ma mission informatique dans l’enceinte d’un grand constructeur japonais, dont le siège social se trouve à Clichy. Je n’y passe pourtant pas le temps à tenter de définir une nouvelle équation la loi de la relativité. Je ne me creuse pas la tête afin de mettre en route un concept technologique pour mettre en branle l’empire de Bill Gates. Je ne traduis pas huit heures durant un texte en hiéroglyphes afin de le rendre lisible dans la langue de Pascal. Non ! Rien de cela. Je me contente de répondre à une question sommaire : «Où est mon PC ? » Après une heure et demi dans les transports en commun, le lecteur Mp3 sur les oreilles, et un peu de lucidité pour ne pas me tromper de train, à l’instant même où je viens de franchir le seuil de l’enceinte de la multinationale et escaladé les quelques marches me menant dans le bureau que l’on m’a prêté, je deviens une antilope traversant une plaine de hautes broussailles. Un prédateur peut jaillir à tout moment dans mes pattes et me dévorer en trois crocs. Je n’ai même pas eu le temps d’allumer mon ordinateur qu’il surgit déjà, l’homo ordinatus. On le reconnaît. Il pousse un cri irrémédiable : «Où est mon PC ?», Son PC, c’est un laptop, c'est-à-dire un portable. Un ordinateur qui donne un certain aura quand on l’utilise sur ses genoux, dans un lieu public. Ils en possèdent pratiquement tous, ici, car la plupart ont un statut de directeur, même s’ils fréquentent le bas de la pyramide. Ils portent la cravate sérieuse, et n’ont pas de temps à perdre avec un sous-traitant dans mon genre. Il faut donc que je trouve la parade pour les tenir éloigner de ma tendre peau. «Je vais me renseigner !» est ma réplique d’autodéfense. J’abandonne le quidam directeur et je descends illico les escaliers en direction de la salle de migration où des collègues se relaient en travaillant 24h sur 24. Avec un peu de malice, j’eusse pu simplement leur passer un coup de fil, mais je préfère opter pour le contact physique, car cela me permet de m’extraire du champ d’observation de l’homo ordinatus. Je me relaxe en retrouvant les miens. J’en profite pour prendre un café, tailler une petite bavette sur le match de la veille, faire quelques blagues sur les dernières élucubrations de Méphisto. Et, c’est seulement après cette mise en marche, que je pose la question fatidique : «Où est son PC» ? « Il n’est pas prêt ! », est la lancinante réponse de mon semblable. Quelques minutes plus tard, je remonte les marches emportant sur mes épaules la triste nouvelle. Il remarque tout de suite que j’ai les mains vides. Il se prépare donc psychologiquement au choc de mon annonce. «Votre PC ne sera prêt qu’en début d’après-midi». Et là, il me jette un regard d’une telle noirceur que mes jambes se dérobent dans mon pantalon. Je tremble d’avance de sa furie. Il quitte la pièce aussi vite qu’il y était entré en criant qu’il irait se plaindre à sa hiérarchie. Ouf ! Je suis à nouveau seul. La mire Windows apparaît enfin sur la mire de mon écran d’ordinateur. Je vais pouvoir lire mes emails ou surfer cinq minutes sur le net pour savoir si Liverpool a encore gagné son match. Quand, un nouveau prédateur me fait face… «Où est mon PC ? » Je descends une seconde fois les marches. Je prends un deuxième café. Je lis quelques lignes du journal gratuit abandonné par un de mes collègues. Comme je ne trouve pas le résultat de Liverpool, je demande si quelqu’un est au courant du score. Et comme, je suis le seul vrai supporter des Reds, je remonte en direction de mon arène. «Votre PC ne sera prêt qu’en début d’après-midi ». J’encaisse mon deuxième regard noir. J’essaie de garder une contenance humaine devant tant d’abjections. Quelques regards noirs plus tard, je peux enfin lire mes emails. Ce sont des messages des Homo ordinatus qui sont venus me voir ce matin. Ils demandent tous en chœur, dans l’intitulé :«Où est mon PC ? ». Je n’aurais pas le temps de surfer sur le net. Je leurs réponds à l’aide d’un copier/coller. Cela apaisera leur haine quelques heures. Il m’arrive, toutefois, de temps en temps de rendre immédiatement un PC. Quand l’Homo ordinatus est une femme, par exemple. L’autre jour, j’ai remonté à toutes vitesse les escaliers avec le PC d’une blonde à gros seins. J’avais hâte de m’installer près d’elle pour faire le point dans son décolleté, sur son nouvel environnement informatique. Je l’ai priée de s’asseoir à mes côtés, très frénétiquement. J’ai appuyé sur le bouton Marche/Arrêt… Nenni. J’ai souris à ma convive, à l’instar d’un hidalgo qui contrôle la situation. J’ai débranché et rebranché tous les fils, et remis la sauce… Nenni., itou. Quelques gouttes de sueur plus tard, j’expliquai à la blonde aux gros seins de ne pas s’impatienter. Je me précipitai en courant avec son matériel sous le bras pour appeler à l’aide auprès d’un collègue plus futé que moi. Rien à faire. Le PC venait de rendre l’âme. Il fallait lui ouvrir les entrailles afin de détecter quelle partie vitale venait de clamecer. Je retrouvais ma blonde aux gros seins. Et la queue entre les jambes, je lui fis le récit de cette incroyable panne qui allait la priver d’une grosse partie de la journée de son outil de travail. Elle ne pourrait plus lire les emails de ses amants avant longtemps. J’encaissai son regard noir de menthe religieuse. Il ne faut pas de louper quand l’Homo ordinatus est un VIP. C’est indiqué sur la fiche qui accompagne son PC. Dès qu’il entre en scène, je ne peux pas me contenter d’une réponse approximative. Il faut que je sois prompt à lui donner satisfaction. Je dois lui passer la brosse à reluire sans une égratignure. On reconnaît un VIP à sa configuration. Il possède un PC dernier cri avec toutes les options. Il n’utilise généralement que sa messagerie. Il a délégué l’utilité des autres fonctions à ses subalternes qui tricotent avec du matériel ancien les chiffres qu’il réclame. Il faut lui synchroniser au moins trois PDA et quatre téléphone GPS. Où qu’il soit dans le monde, il est impératif qu’il reçoive les toutes dernières informations de l’entreprise. Même dans le désert saharien, il doit être le premier à être avisé d’une promotion ou d’un licenciement. Cela est déterminant pour le rendement de ses stocks-option. Généralement, son PC est toujours prêt. Et il signe comme un monarque sa satisfaction de notre service. Et puis, il y a l’intrépide, le désaxé, le névrosé, celui que la femme torture à la maison. Pour lui, tout est un drame et ne peut se régler que dans l’éclat. Il ne digère aucune de mes formules toutes faites. Il réclame immédiatement satisfaction. Il donne un coup contre la porte. Il s’esclaffe en me racontant l’importance de son travail dans la société. Il m’appelle toutes les cinq minutes pour me relancer. Il envoie sa secrétaire stagiaire en guise de motivation. Il fait tout son possible pour me donner mauvaise conscience. Alors, las du combat d’arrière-garde, je finis par lui apporter ce qu’il réclame. Il a gagné la partie, au détriment des Homo ordinatus plus sages. Cette joute professionnelle est mon lot quotidien. Quand je crois tenir une seconde de repos, c’est le téléphone qui sonne. Au bout de la ligne Méphisto qui me réclame des statistiques pour facturer notre client. Plutôt que de me réconforter de l’hardiesse de mes efforts, elle enfonce le clou en me posant tout un tas de questions sur les dysfonctionnements qui lui sont remontés jusqu’à ses petites oreilles. Je m’incline une nouvelle fois comme un laquais devant son supérieur. Comment lui faire comprendre que si nous sommes en sous-effectifs, c’est uniquement pour proposer une prestation peu chère à la clientèle. A la fin de la journée, quand vient sonner l’heure de la sortie, je retrouve un peu de dignité humaine. Je me sens ressusciter. Je vais pouvoir enfin quitter toute cette mascarade pour faire ce que bon me semble. Plus besoin de courber l’échine ou faire semblant d’aimer son travail. Je vais pouvoir écouter Luis Attaque, où Philippe Auclair nous parlera du match de Liverpool. Ma femme pourra bien m’engueuler, je mettrais les pieds sous la table en attendant la soupe. Mon cerveau boue encore, mais c’est un cerveau libre. Ecrit par Raskolnikov, le Mardi 20 Décembre 2005, 15:25 dans la rubrique "Vie professionnelle".
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