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Une heure en compagnie du grand Jacques
Quand j’ai besoin de me requinquer, retrouver du peps et du courage pour affronter la vie le plus dignement possible, je ne cours pas à Rome pour applaudir un vieillard agonisant, je ne m’achète pas le dernier livre à la mode, je ne vide pas une bonne bouteille en cachette, non, pour l’instant, je ne fais rien de cela. Je branche mon lecteur MP3 et je passe une heure en compagnie du grand Jacques.

C’est une archive de l’émission Radioscopie où la voix apaisante de Jacques Chancel entraîne les confidences de l'artiste. L’enregistrement date de 1973. Jacques Brel est à Cannes. Il a 45 ans. Il présente, dans la force de l’âge, son deuxième film pour le festival : Farm West. Il ne sait pas encore qu’une tumeur au poumon se développe dans son corps entraînant son décès cinq ans plus tard.

Il est d’une lucidité à toute épreuve. On dirait que cet homme a tout compris de la vie. Ces phrases vont droit au but et ne peuvent nous laisser indifférentes. Elles valent toutes les homélies du monde. Ce sont des paroles d’amour. Elles me rendent meilleur :

« Il faut être en difficulté toute sa vie. Sinon, on se pause des problèmes de luxe.»

« On s’aperçoit très vite lorsqu’on n’est pas beau que l’intérêt que l’on peut avoir n’est pas en soi mais dans le mouvement. Les gens beaux ne pensent qu’à eux. Quand on est beau, on se suffit, mais on devient vite suffisant en vieillissant.
Si j’avais été beau, je n’aurais pas eu de carrière.
»

« Cela me paraît insensé de ne pas paraître timide devant une femme. »

« L’injustice, c’est quand le comportement des adultes n’apportent pas la bonne réponse à l’enfant. »

« Qu’est-ce qu’un artiste ? C’est quelqu’un qui a mal aux autres. Dans les chanteurs, il y a ceux qui ont mal aux autres et ceux qui n’ont pas mal aux autres.

«Le talent, c’est d’avoir envie de faire quelque chose. »

« Deux manières de réagir devant ce que l’on ne sait pas : décréter que c’est idiot, ou aller voir. Je préfère aller voir. J’ai un grand faible pour les hommes qui vont voir. »

« Les gens se croient bien portant, éternels. Un certain nombre de problèmes sont des problèmes d’immortel, alors qu’on est mortel. Il faut savoir tous les jours que l’on est mortel. Et ce n’est pas triste de savoir que l’on va mourir. »

« Le malheur, c’est la différence entre le rêve et le réel. Il faut combler cette différence. »

« L’intelligence est quelque chose de fugace. C’est au cœur de faire le boulot. C’est avec le cœur que l’on décide d’aimer quelqu’un. »

« Quand on écrit, on fait ce qu’on peut. On ne sait les choses qu’après. »

« Les gens riches le méritent. C’est un enfer. Les gens qui ont de l’agent ne pensent qu’à l’argent qui leur manque. L’argent fige les hommes, les rend immobiles. »

« Un homme c’est fait pour bouger. Ce n'est pas fait pour s’arrêter. Tout le malheur vient de l’immobilité. On use les choses en étant immobile. »

« Il faut vivre debout et en mouvement, et ne jamais avoir l’air fatigué sinon les murs vous tombent sur la tête. »

« Il faut vieillir dans la mobilité. Mourir c’est s’arrêter. Le but de la vie c’est de vieillir, c’est d’être un formidable vieillard. »

« Il faut avoir foncièrement très peur pour être croyant et croire que l’on peut trouver une solution. Je ne suis pas suffisamment lâche pour avoir cette peur-là et pas suffisamment prétentieux pour croire que je peux apporter une solution à la peur que j’aurais éventuellement. Je ne suis ni croyant ni philosophe. »

« Dans la vie ce qui compte, c’est l’acte de vivre. Tout le restant, c’est du luxe. »

« Mon idéal, c’est d’essayer et d’aimer le plus longtemps possible. »

« Quand on n’aime pas quelqu’un, c’est parce que 9 fois sur 10 on se trompe soi. On n'est pas aller voir. »

« Dés que les hommes disent une chose au sujet des femmes, ils ne disent que des sottises. »

« Les femmes se préoccupent des hommes toutes la journée alors que l’homme ne s’en préoccupe que dans la marge de ses appétits. »

« Il y a tout un tas d’hommes de mon âge qui ont un manque d’enfance qu’ils compensent par la réussite ou par les femmes. »

« Ëtre naïf, c’est la dernière façon d’avoir une santé morale. »

« Il n’y a que les gens totalement immobiles et qui ne font jamais rien et qui arrivent à traverser la vie en disant que tous les autres sont des cons.
Dès que l’on fait les choses, on devient d’une humilité fantastique. Dés que l’on va voir, on a plus peur.
»

« Quand on fait beaucoup de choses, on a l’air secret, parce que l’on est en mouvement. »

« Il faut fuir la gravité des imbéciles. »

On dit que les mots peuvent être plus forts que les armes. En tout cas, ceux de Jacques Brel sont éternels et donneront du bonheur aux hommes pendant longtemps encore.
Il faut, en tout cas, le souhaiter.

Ecrit par Raskolnikov, le Jeudi 24 Février 2005, 12:12 dans la rubrique "Vagabondages".


Commentaires :

  Anonyme
25-09-05
à 07:54

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  Anonyme
27-01-06
à 17:36

Merci

d'avoir retranscrit ces extraits d'un dialogue qui pour moi aussi est inoubliable