Mercredi soir, vers 18h00, un coup de fil. Une commerciale de mon SSII se présente Elle me propose un rendez-vous avec un de ses clients pour une mission de coordinateur technique. Le temps de griffonner sur un bout de papier l’adresse où me présenter pour le lendemain à 15h30. J’acquiesce avant même d’avoir mesurer le temps de trajet par les transports en commun. 1h45 sur les rails!

Dans un quartier Est de Paris, à la sortie de la bouche de métro, je longe des façades décrépies un plan à la main. Je me présente à l’heure dite devant un bâtiment ultramoderne qui détonne dans le décor. Une souriante commerciale vient à ma rencontre.

Elle porte des traits asiatiques. Un petit bout de femme. Elle me commente brièvement les particularités de son client et de la tâche qui m’attend. Je découvre assis sur une banquette design deux autres collègues à qui le même rendez-vous a été proposé. Je reconnais B avec son air rebelle et V tout en nuance. Nous échangeons nos cartes d’identité contre un badge à l’accueil pour franchir le tourniquet des bureaux d’une grande banque.

Nous montons jusqu’au sixième étage tout en concentration.

A l’heure dite, nous découvrons notre client, un quinquagénaire à quelques années d’une retraite confortable, propre sur lui, qui nous tend une main délicate. En quelques secondes, nous nous trouvons tous les cinq dans un bureau de proximité pour démarrer un collectif entretien.

Un second quinquagénaire arrive à toute vitesse. Il porte sur les commissures des lèvres un sournois sourire. Il se met à nous présenter le travail pour lequel nous sommes conviés. Nous sentons que tous les paramètres ne sont pas maîtrisés dans le projet dont il a la responsabilité.

Chacun son tour, nous nous présentons. B commence. Très rapidement, son absence de cravate se fait ressentir. Il manque de conviction dans ses propos et émet des doutes sur la symétrie entre sa personnalité et le job proposé.

C’est mon tour. Avec un air recroquevillé, je me lance dans une présentation de ma belle carrière professionnelle. J’esquive quelques détails en asseyant de placer quelques mots subliminaux. Je suis interrogé sur le fondé de ma dernière mission. Je marque un pas d’hésitation. Le premier quinquagénaire veut absolument savoir ce que j’aime et ce que je n’aime pas. Lorsqu’il me demande si j’ai quelque chose à ajouter, j’émets un Non clair et prononcé. J’entrevois tout d’un coup une crispation dans le regard du deuxième quinquagénaire.

V est sur le champ de bataille. Il semble mieux tenir la distance. Il parle avec des mots simples et précis. C’est le sans faute. Si j’étais un employeur, je le ferais signer immédiatement un contrat.

Les délibérés du jury. Nous sommes tous les trois dans le couloir en attendant que notre sort soit tranché. B s’en moque un peu. V est pessimiste. Moi, je ne me fais plus d’illusion.

Notre souriante commerciale sort enfin du bureau où elle était restée avec les deux quinquagénaires. Son regard est devenu blême. Elle ne regarde que V.
« Tu es pris ! »

Tout d’un coup, ma fierté de mâle dominant perd de sa superbe. Mes poils se hérissent. Mes poings se ferment. J’ai envie de retrouver les deux quinquagénaires pour leur crier ma rage :
« Qu’est-ce vous voulez de plus ? Que je vous suce la bite ? »

Comme je suis quelqu'un de bien élevé, je laisse ma main droite exprimer tout mon ressentiment.