Je traîne toujours mes guêtres dans ma SSII. Il n’y a toujours aucune mission en apparence dans l’horizon que je scrute.

Aujourd’hui, j’ai passé la journée à faire le manutentionnaire. Il fallait libérer un local dont le bail prend fin ce mois-ci. Avec un collègue féru de séries américaines, nous avons trimballé des meubles en bon état dans une benne. Nous reprenions notre souffle en s’échangeant nos impressions sur la troisième saison de The Shield.

La semaine dernière, alors que j’étais concentré sur une combinaison de PHP, un commercial bien trempé a surgi dans mon dos. Avec un petit air de circonstance, il s’adressa à l’assistance des intercontratistes présents dans l’open space:
« Quelqu’un parmi vous a-t-il du temps de libre à m’offrir ? »

Comme je suis plutôt maladroit dans mes relations professionnelles, nous deux regards s’entrechoquèrent.
Il m’invita par mon prénom à le suivre dans son bureau avec vue sur les quais de la Seine.

« Je te présente Corinne. Avant de la proposer à un client pour une mission à haute valeur ajoutée, j’ai besoin d’évaluer son niveau d’Excel ! »

Je saluai Corinne avec tous les égards qu’elle mérite. Une femme de quarante cinq ans menue et souriante.

Sans me donner l’occasion d’ouvrir la bouche, le commercial me tendit sa carte de visite en prenant une attitude très chaste.
« Tu m’appelles tout à l’heure sur mon portable pour me donner le résultat de ton évaluation ».
Et il nous mit dehors de son bureau sans atermoiement.

Je fis la connaissance de Corinne.
Je commençai un vouvoiement timide afin de percer sa personnalité.
Je lui posai quelques questions anodines sans lui avouer que mon niveau d’Excel était aussi rudimentaire que le sien.

L’heure du déjeuner sonnant, nous nous suivîmes dans le self sans saveur à l’étage inférieur.
En avalant mon assiette de nouilles, je compris vite que nous partagions le même point de vue sur le monde du travail, et en particulier sur celui des SSII.

Elle venait de terminer une mission dans un grand groupe de crédit. Elle était dépité par la gestion humaine de notre employeur, le manque de sérieux de nos commerciaux, les pressions qu’on lui assenait par derrière. Elle ne se fait plus d’illusion sur sa carrière tant qu’elle ne prend pas la direction d’une autre entreprise.

Nous reprîmes notre apprentissage du tableur. Nous étions d’accord tous les deux sur les diverses applications possibles du logiciel. Du simple tableau à la base de données, un certain nombre de tâche pouvait lui être confié en fonction de la demande initiale.

Je surpris notre commercial rejoindre la chaleur de son bureau. Je décidai de lui présenter immédiatement mes avis sur Corinne.

Je lui expliquai qu’elle maîtrisait parfaitement les bases d’Excel et qu’avec des exercices elle pourrait atteindre facilement un niveau supérieur.

Le commercial me regarda fixement puis, me lança sans ménagement cet affront :
« Elle est capable de faire des tableaux croisés dynamiques ? »

Je restai bouche bée devant autant de maîtrise de la grammaire excelienne.
En effet, je n’avais pas pensé une seconde aux tableaux croisés dynamiques. D’ailleurs, je ne savais même pas ce que c’était.

Je sortis de son bureau tête basse vaincu par sa sémantique.

Corinne aperçut mon air désolé et comprit qui avait pris l’avantage.