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Le licenciement abusé
Le recommandé avait fini par arriver dans ma boîte à lettres un peu cassée.
Un Rendez-vous y était précisé avec la DRH. Le couperet de l’heure solennelle soulignée en rouge. Un collègue de mon choix pouvait m’accompagner pendant la cérémonie. Je décidai d’aller seul affronter mon licenciement économique. Quand je pénétrai dans le bureau de Mme M, j’avais l’air du vaincu qui s’apprête à signer une reddition. Je ne fis pas d’effort pour sourire. Je tremblai même un petit peu. Un sentiment de honte m’accablait comme si je portais l’entière responsabilité de la sanction. Mme M m’expliqua qu’il s’agissait d’un entretien préalable et que dans quelques jours je recevrai la lettre officielle de licenciement. Elle m’indiqua que j’étais bien vu par ma hiérarchie, que cette procédure était sous influence de la société américaine qui venait de nous racheter. Elle le regrettait foncièrement et me promit de mettre mon nom dans la liste des prioritaires dans une future campagne de recrutement. Je tremblais un peu moins. Je retrouvais un peu de dignité en écoutant son discours. Elle me tendit alors un chèque en guise d’indemnités pour bons services rendus. Je le pris mollement. Je signai le reçu en griffonnant un peu. Je l’ouvris, juste pour me donner une idée de l’aménagement à faire pour mon futur train de vie. Je découvris, stupéfait, le montant :38 millions d’euros ! Je rougis. C’était beaucoup d’honneur pour un employé. Je pensais à ma femme quand je lui annoncerais la nouvelle. Quelle somme d’argent ! En quelques secondes, mon désarroi avait cédé la place à un optimisme tout azimut. je quittai le temps réel pour l’introspection. J’imaginai déjà comment dépenser tout cet argent. D’abord, j’en déposerais au moins 10 millions dans un paradis fiscal afin de faire doubler ce capital tous les six mois. Le reste me servira à finir de payer les traites de notre appartement. Je me voyais déjà face à mon banquier avec mon cash sous le bras. Je demanderais à ma femme d’arrêter de travailler. Nous partirions aussitôt en séjour prolongé sur l’île Moustique. Je louerais la villa qu’Arthur et Estelle occupèrent pendant leur voyage de noces. J’achèterais un yacht que je ferais arrimer en permanence dans le port de Monaco. Je ferais un chèque à une association caritative pour me donner bonne conscience en achetant un encart de publicité dans Paris Match. Je…… « Il y a quelques choses qui ne va pas ? » me ramena Mme M dans la réalité. Et là, je commis un impair. J’exprimai trop explicitement ma joie d’homme nouvellement riche ! Elle m’arracha le chèque des mains en un éclair. « Excusez-moi ! Je me suis trompée. Ce n’était pas le vôtre, mais celui de notre directeur général. Et oui, si cela peut vous consoler, monsieur le directeur général nous quitte également. Vous savez, les Américains, quand ils reprennent une boîte, ils coupent en premier les mauvaises herbes et ils virent le jardinier qui les a laissées pousser. Le voici, le vôtre. » Elle venait de me confier un nouveau chèque. Effectivement, celui-là était bien à mon nom. 3 800 euros, soit deux mois de salaire. « Ne vous inquiétez pas ! L’économie va reprendre très vite. Vous avez entendu parler des objectifs de notre gouvernement qui ne veut plus compter un enfant pauvre d’ici quinze ans ? Vous n’avez pas d’enfant, je crois ? Et bien, vous savez ce qui vous reste à faire. » Je lui serrai la main sans conviction et longeai le mur du couloir en toute discrétion jusqu’à la sortie. J’avais une pensée pour notre pauvre directeur général qui sera lui aussi convoqué très prochainement dans ce même bureau. Il était sympa la directeur général. Nous ne comprenions pas toujours ses propos quand il prenait la parole en public, mais il nous donnait la conviction que nous appartenions tous à la même famille. Ecrit par Raskolnikov, le Vendredi 22 Avril 2005, 17:05 dans la rubrique "Vagabondages".
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