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Dans la peau d’un de Wendel
Ce matin-là, en ouvrant les yeux, la ritournelle de notre premier ministre diffusée par mon radio-réveil injecta du sang neuf dans mes artères. L’accent mis contre les 35 heures me ravit. La baisse des charges et des impôts m’extirpa plus vite de mon lit à baldaquin. J’approuvai d’une érection matinale son désintérêt pour la manifestation des fonctionnaires organisée la veille dans les rues de Paris. Je mis deux sucres dans mon café quand Jean-Marc Sylvestre débuta son éditorial. Je saluai le portrait de mon aïeul Jean-Martin en cadre face à la bibliothèque. En mettant en route mon ordinateur, je ne fus pas surpris que la page d’accueil de mon explorateur internet fut un site spécialisé sur l’actualité boursière. J’optai pour un bain au lieu de la douche traditionnelle. Je traînassai dans les bulles odorantes en remerciant le ciel de la hausse du CAC 40. Je choisis un polo et un pantalon en cachemire. Je ramassai Le Figaro devant ma porte blindée avant de descendre les escaliers avec une souplesse inhabituelle. Un taxi en stationnement klaxonna à mon passage. Je m’installai à coté du chauffeur sans lui dire un mot. Quelques minutes plus tard, il me déposa devant un centre de relaxation. Je lis durant une bonne heure mon journal de prédilection tandis qu’une jeune femme à l’accent slave s’occupait de me masser le corps, l’oindre de crème et de parfum. En la quittant, je lui tendis ma carte de visite avec un clin d’œil. Le taxi me récupéra et me déposa au pavillon Dauphine. Une hôtesse m’accueillit en m’agrafant un badge rouge sur la poitrine. Elle me pria de la suivre jusqu’au salon Maillot. Je reconnus plusieurs cousins qui me saluèrent. J’aperçus en grande conversation notre célèbre Ernekind, alias Ernest-Antoine, lequel, en éternel risquophile, fait la fierté de notre grande famille. J’eus à peine le temps d’avaler quelques petits fours et canapés de caviar quand il prit la parole en s’adressant à notre assistance. Il semblait plus heureux qu’à la télévision. Les résultats de notre société d’investissement devaient certainement être très bons. En effet, les nombreuses délocalisations sur lesquelles nous avions misées ont multiplié par deux le cours de notre action. Les dividendes annoncés seraient autant d’investissements dans l’immobilier. Les générations futures de notre belle lignée étaient déjà assurées de vivre dignement d’une rente providentielle. Je me mis à penser à la Lorraine, là où tout avait commencé il y a trois cent ans. Qu’elles étaient loin désormais les forges qui avaient fait de nous une famille si riche. La sueur des immigrés italiens qui avait fait notre fortune n'était plus qu'un vague souvenir. Malgré les Socialistes, nous avons réussi à conserver notre rang. Nous remercions tous les jours le Seigneur pour sa protection. Joséphine s’approcha de moi en compagnie de Geoffroy, le néo-polytechnicien dont ma mère n’arrête pas de me faire l’éloge. Je n’ai jamais voulu lui ressembler. C’est certainement lui qui gèrera notre portefeuille d’ici quelques années. Elle me plait beaucoup Joséphine. Elle me demanda d’une petite voix fluette si je pouvais l’accompagner ce soir à Notre Dame afin de prier pour le rétablissement de la santé de notre pape. J’acceptai. Je vais devoir reporter mon rendez-vous avec la petite slave. Tout d’un coup, la voix de Raffarin m’hérissa le poil. Je cognai sur le radio-réveil pour le rendre silencieux. Ma femme me donna une tapette dans le dos. « Dépêche toi, tu vas être en retard au travail ! » Ecrit par Raskolnikov, le Mardi 8 Février 2005, 15:03 dans la rubrique "Vagabondages".
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