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Deux heures par jour dans une SSII, suite
Mon rituel est désormais au point. A 10 heures pile, je franchis l’accueil de mon SSII préférée après avoir salué la timide hôtesse qui sert aussi de standardiste. Je m’élance sur la moquette flambant neuve du couloir principale. J’atterris dans l’open space réservé au personnel de passage. Je dépose mes affaires au pied du bureau que j’ai adopté après plusieurs jours de réflexions. Je lance un « bonjour ! » chaleureux à Alfrédo le garde-chiourme, celui qui rend compte à la virgule près de nos faits et gestes aux commerciaux encore motivés. Je mets en route le PC fatigué à mon humble disposition. Pendant le quart d’heure nécessaire à son initialisation, je me rends devant la machine à café distribuant gratuitement des boissons revigorantes. J’avale la mienne en me raclant la gorge. Je patiente jusqu’à l’arrivée d’une jolie miss plantureuse laquelle est très à cheval sur les horaires. Nous discutons de la pluie et du beau temps (surtout du beau temps), prenons la température de nos activités respectives (elle travaille sur un projet de développement en Javascript qui semble clapoter). Je lui raconte mon impatience de ne rien faire de mes dix doigts. Nous nous quittons en souriant. Je m’assoie délicatement sur une chaise grinçante. Je lance Internet Explorer pour un surf tout azimut. Je dispose de deux bonnes heures devant moi.
Parfois, sur le bureau d’à-côté, l’un de mes compagnons d’infortune prend place. Il me convainc d’effectuer une nouvelle pause devant la machine à café. J’avale un chocolat chaud pour éviter d’augmenter mon taux d’adrénaline. Nous pouvons y croiser notre président dans son costume Gucci, le porte-clé d'une Jaguar à peine camouflé dans la poche du pantalon, la gourmette en or qui tinte au moment de la sélection du capuccino. A ce moment-là, nous ne disons plus un mot. Nous respectons solennellement la hiérarchie. Nous savons que cet homme a le pouvoir de convoquer la responsable des ressources humaines pour étudier nos cas. Nous lui sourions pour lui faire comprendre que nous sommes fiers de recevoir une feuille de paie chaque mois avec, sur le haut, le logo de son entreprise. Nous attendons qu’il soit retourné dans son bureau. Nous nous mettons sur la pointe des pieds afin de regagner discrètement nos emplacements. Nous échangeons nos remarques sur le programme télévisé qui a régalé nos neurones la soirée dernière. Justement, nous avons regardé la même chose, une nouvelle série américaine avec beaucoup de suspens. Nous nous engageons à ne jamais rater un seul épisode car cela serait une faute de goût. Et puis, nous nous quittons en nous promettant de se retrouver exactement à la même place demain pour reprendre le fil de la conversation. Un événement insolite peut se produire. Aujourd’hui, par exemple, alors qu’elle n’était pas encore sortie de sa tanière, ma responsable, car c’est une femme, avec un accent de tueur sicilien, interrompit mon clic de souris sur le lien People de Yahoo pour savoir si j’ai bien déposé le reste de mes jours de congés. Je me demandais comment elle avait fait pour me surprendre dans un tel état de concentration. Elle m’expliqua que je devais les épurer rapidement pour me tenir prêt quand de nouvelles missions vont démarrer. Je m’engageai à le faire tout de suite. Sur le chemin du retour, dans le train dodelinant me transportant vers mon Home sweet Home, j’étais enfin rassuré. Cela ne serait pas aujourd’hui qu’une lettre fatale en recommandé me serait envoyée. J’étais comme apaisé. Je glissai une main dans mes poches pour savoir si je ne trouverais pas par hasard un porte-clef de Jaguar. Ecrit par Raskolnikov, le Jeudi 3 Février 2005, 16:05 dans la rubrique "Vie professionnelle".
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