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L'épanouisement personnel
Le monde du travail permet-il l’épanouissement personnel ? C’est en me posant cette question que je suis entré sans effraction dans le bureau d’Elle. J’avais, à la main, bien en évidence, un mot d’excuse de la SNCF pour le retard engendré par le colis suspect déposé dans la gare de Versailles-Chantiers l’autre jour.
Je m’assis dans le gros fauteuil en cuir réservé aux invités afin de lui faire face avec dignité. Elle ne souriait rien. Elle n’avait même pas craché un « bonjour ! » qui aurait pu me rassurer. Elle commença avec excès à déblatérer comme un pitbull les reproches qu’elle avait soigneusement pianotés dans un coin de son ordinateur. Son accent méditerranéen s’était transformé en sicilien. On aurait dit un Don Corleone au féminin prononçant la sentence de mort contre un traître pris en flagrant délit. Je m’enfonçais davantage dans la souplesse du cuir afin de conserver mon sang froid. J’eus enfin le droit de dire quelques mots pour ma défense. En vérité, elle n’avait rien à me reprocher mis à part d’avoir quitté l’open Space en pleine journée sans lui dire au revoir. Cela se fait couramment en SSII quand le collaborateur n’a plus de tâche particulière. C’est vrai, qu’à mon retour de Reims, je n’avais pas pointé le bout de mon nez le lendemain car la veille j’avais déposé mon sac de voyages dans mon appartement à 23h00. Je trouvais légitime de récupérer chez moi des longues journées précédentes tout en me tenant disponible avec mon portable. Ma grande admiration pour notre ministre actuel des Affaires étrangères joua t-elle un rôle dans mon choix de diplomatie ? J’optai pour l’amabilité de circonstance en lui faisant de grands sourires à chaque fois que je posai mes mots. Je conservai une voix douce et claire à l’instar d’un séducteur qui vient de détecter une proie. Je fis profil bas en jurant de retenir la leçon. Je lui promis, avec tout le faux respect que j’ai pour Elle, de me plier à ses exigences de pacha. Elle récupéra son accent de libanaise venue trouver refuge en France il y a vingt ans avec la fortune de son papa banquier. Elle esquissa même un rictus à visage humain. Plus tard, en me trimballant avec mon plateau repas dans la cantine d’entreprise à la recherche d’une place libre, je fus hélé par quelques collègues en pleine discussion autour d’une table ronde. Ils me prièrent de les rejoindre. Ils souhaitaient absolument savoir comment mon entretien s’était déroulé dans le fauteuil en cuir. Je leur fis un bref résumé tout en prenant mes précautions pour ne pas en rajouter. Parmi nous, je remarquai la présence de Victorine. Victorine est une jolie femme qui se contemple tous les jours devant son miroir en lui demandant si elle avait une rivale dans la SSII. Il y a peu, elle avait le vent en poupe, des responsabilités commerciales et beaucoup d’affinités avec un dirigeant. Ce dernier vient de subir une attaque cardiaque. Il est sur le flanc pour quelques mois. Victorine sent que son influence périclite au sein de la hiérarchie. Et surtout, Elle et elle se détestent. Telles des chattes sur la défensive, quand elles se croisent dans les couloirs, elles ouvrent leur bouche pour cracher un râlement. Tout en avalant les frites de son steak haché, Victorine va nous faire des révélations. Si Elle met tant d’acharnements à faire respecter son autorité, c’est pour une bonne raison. Passée dans la vie civile, cette femme dont les poils sous les bras apparaissent inopinément quand Elle gesticule est une "sado-maso". Un collaborateur, dont elle ne citera pas le nom, a eu une petite aventure avec Elle. Avait-il abusé d’un bon whisky au soir d’un pot de fin d’année? Personne ne peut le dire. Il a raconté à Victorine qu’au moment de passer à l’acte, Elle lui a tendu un martinet afin de la fouetter sur les courbures. En voyant l’engin de supplice, il a vite remis en place son caleçon et partit en courant. Il paraît qu’aujourd’hui, il court encore. Ecrit par Raskolnikov, le Samedi 13 Août 2005, 12:25 dans la rubrique "Vie professionnelle".
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