Dans la vallée d’Aspe plane désormais le fantôme de Cannelle. Un promeneur du dimanche qui s’égard sur un sentier peut le rencontrer. Ce n’est pas un fantôme impressionnant. Le premier effroi passé, vous vous approcherez de lui et vous tendrez une oreille. Car, comme dans les films japonais, si ce fantôme est revenu ici-bas, c’est pour nous chuchoter quelque chose.

Le nom de son assassin ? Tout le monde le connaît ! C’est un chasseur comme on en trouve dans notre France profonde, ni bon, ni mauvais, mais fier de porter un fusil en bandoulière devant son petit fils qui est le dernier à accepter de l’accompagner. Il tire d’ordinaire sur les dépouilles de sanglier ou sur un pauvre lapin galopant avec une patte cassée. Il se fait engueuler par sa mégère quand il revient le soir à la maison, les sabots crottés et la gibecière humant l’alcool.

Ce jour-là, plus téméraire que d’habitude, il s’engouffra sur le territoire de l’ourse. Il aperçut d’abord son petit qu’il prit pour un chien, puis soudain, Cannelle chargea du haut de ses 70cm au garrot. Elle s’écroula quelques instants plus tard après qu’eut retentit la salve de notre bouffon. La pauvre bête était morte sur le coup.

Cannelle était la dernière femelle de son espèce, une souche pyrénéenne protégée. Le père de son ourson est d’une race slovène que l’on cherche à introduire dans la région.

Cannelle ne ressemble vraiment pas à un grizzli. Tout juste à un saint-Bernard qui se dresse sur ses pattes. Elle n’est pas un prédateur. 75% de sa nourriture est à base végétale. Elle peut parfois dévorer une brebis perdue, mais les occasions sont rares.

Non ! Ce n’est pas pour se venger du chasseur que son fantôme traîne dans les montagnes.

Elle en veut à l’homme politique. Et en particulier au premier de la hiérarchie. Celui qui, une fois qu’il a passé un pied en dehors de notre frontière, devient le porte-parole de l’écologie.
Devant ses ministres, il a pris un air solennel. Il leur a expliqué que la mort de Cannelle était une catastrophe pour l’écosystème. Il a organisé, devant les médias médusés, deux visites sur les lieux du crime pour bien faire comprendre à l’opinion qu’il s’occuperait personnellement de sauver les ours.

Cannelle veut nous rappeler que ce JC du Vingt-et-unième siècle a toujours caressé dans le sens du poil le lobby des chasseurs. Une des premières mesures de son gouvernement après le retour au pouvoir fut de rétablir les privilèges des colonnes vertébrales qui se baladent la cartouche dans le fusil
Si on avait interdit la chasse dans la réserve où vécut Cannelle son ourson aujourd’hui ne serait pas en danger de mort.


Le jour où les ours auront le droit de vote, les chasseurs n’auront plus que le tir au pigeon pour entretenir leur virilité.