Ce matin, en saluant mes comparses dans l’open Space de ma SSII, les têtes qui me remarquèrent faisaient grise mine, comme un lendemain de fête trop arrosé quand le vin était de mauvaise qualité. Ce n’était pas une enclume qu’elles portaient, mais une couronne d’épines.

Le garde-chiourme se manifesta le premier :

« As-tu regardé l’émission hier soir, sur l’Europe ? »

Je lui répondis avec la plus grande sincérité possible :
« Non ! »

Il se para d’une moue dubitative. Sa pâleur lui donna un air de transparence. Il n’en croyait pas ses oreilles.

« Tu aurais dû. C’était n’importe quoi. La plupart des jeunes ont posé des questions au président qui n’avaient rien avoir avec l’Europe. Ils s’inquiétaient davantage de voir leur petite vie remise en cause que de comprendre le projet que l’on nous propose. Une bande d’égoïstes ! »

A mon tour d’exprimer sur mon visage une expression d'humeur. Je ne souhaitais pas laisser transparaître mon désintéressement pour le show télévisé télécommandé par l’Elysée.

Il faut dire que j’avais bien regardé la télévision, mais avais porté mon choix sur la Nouvelle Star. Un autre show, à l’ambition plus modeste, des jeunes également, mais qui veulent devenir célèbres. Ils chantent devant un jury original pour obtenir le plus de SMS possible.
C’est mon divertissement du jeudi soir. Je m’abandonne dans le canapé douillet en vidant de mon cerveau tous les maux qui y traînent.

Le garde-chiourme me proposa de le suivre jusqu’à la machine à café. Il avait une envie pathétique d’écouler le fiel qui coulait dans ses veines depuis que le générique de fin avait défilé devant ses yeux. Il semblait ressentir comme une sorte de frustration.

« C’est foutu ! C’est le Non qui va l’emporter ! Il n’a pas été suffisamment bon le président. Le camp de la France qui stagne est majoritaire. Ils s’en foutent les fonctionnaires des problèmes économiques. Ils ont un salaire et une retraite garantis. Nous, dans le privé, on subit non seulement leurs caprices, mais aussi la mondialisation dans ce qu’elle a de plus sauvage. »

Je l’écoutai d’une oreille. De l’autre, je laissai résonner l’interprétation majestueuse de All by myself par la trépidante Myriam. Je l’avais écouté en boucle sur mon lecteur MP3 pendant les quelques minutes de marche entre ma gare et ma SSII.
Qu’est-ce qu’elle chante bien, Myriam. Et en plus, elle est belle comme un cœur.

« Le George Bush, il trépigne devant son bureau ovale, à Washington. C’est tout bénéfique pour les Etats-Unis que l’Europe n’avance pas. Il va pouvoir semer la zizanie dans les rangs. Et l’Europe ultralibérale dont on a tellement peur va finir par exister sous le contrôle des Anglais. »

J’aime bien Roland aussi. En vérité, c’est ma femme qui m’influence. C’est son chouchou. Dès qu’il apparaît sur la scène du pavillon Baltard, elle tombe en pâmoison. Le temps de son inconscience, j’en profite pour zapper sur les autres chaînes à la recherche d’un match de foot.

« Je vais foutre le camp de ce pays. Il n’y a aucun avenir ici. On paie trop d’impôts et la société n’avance même pas. Regarde nos chercheurs ! Quand ils ont du génie, ils quittent la France très vite. Ceux qui restent attendent tranquillement que tombent les budgets. Ils sont planqués pendant toute leur carrière. »

J’avalai mon café lyophilisé serré. Mes cellules nerveuses commençaient à s’agiter. Le garde-chiourme m’agaçait. Si j’avais des ardeurs guerrières, je l’aurais soulevé jusqu’au niveau de la sélection du sucre pour lui demander de se taire.

Heureusement arriva le collègue avec lequel je partage le goût pour les séries américaines décalées. Nous allions pouvoir reprendre notre discussion sur la saison 4 de The Shield .