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Un barbecue de canicule
Pour fêter l'arrivée de la canicule, Mon team leader me convia à un barbecue dans le pré carré de sa calme propriété quelque part en bord de Seine. Je n'hésitai pas une seconde. J'enfilai mon maillot de corps le plus coloré avec un short de footballeur datant des années soixante-dix et je sonnai à sa porte avec une bonne demi-heure d'avance ce samedi sur le coup de midi.
En vérité, je fus lâché comme un paquet de lessive dans une machine à laver par ma femme au volant de notre 206 diesel avec une bonne heure de retard. Les parisiens avait tous pris la direction de la Normandie ce week-end et l'A13 était furieusement bondée. Le fils de la maison m'accueillit comme un copain et me fit passer par le garage. Quelques enjambées plus tard, j'atterris nez à nez avec une bonne trentaine d'humains inconnus déjà attablés avec plusieurs valses d'apéritifs. Mon chef abandonna le tournebroche autour duquel grillait un pauvre marcassin. Il me présenta à sa femme, son père, sa fille, et à tous ses amis qu'il avait réunis pour l'occasion. Je pris place gauchement parmi l'assemblée en attrapant une chaise grinçante. En quelques secondes, on me confia un grand verre de sangria et l'on me permit de piocher au hasard dans la victuaille en libre service. Beignets, pizzas, tourtes, quiches et d'autres mets encore dégageaient des effluves pour soumettre mon estomac à toutes les tentations. Je goûtai à tous les plats en écoutant d'une oreille discrète les différentes conversations animant les convives. Des milliers de calories plus tard, et plusieurs verres d'un bon Bordeaux vieilli en fût de chêne déglutis, je laissai glisser progressivement quelques mots de ma bouche. Je fis connaissance avec mes voisins. Sans le savoir, je m'étais assis entre deux cheminots. L'un en retraite, mais conseiller municipal engagé, l'autre toujours en activité, mais avec le tunnel de la sortie en vue. C'était la première fois que je voyais des salariés de la SNCF d'aussi près. Le salarié SNCF pour le précaire professionnel que je suis est un véritable d'extraterrestre. Il ne vit pas sur la même planète que moi. Il respire en terre paisible sans craindre l'obscurité du chômage. Jusqu'à la fin de sa vie, il est assuré d'un certain niveau de vie. Moi, je suis une espèce socialement modifiée de la mondialisation ultralibérale. Si je ne m'arme pas d'une carapace solide, je suis avalé tout cru par le premier prédateur qui passe. Après avoir écouté plusieurs anecdotes croustillantes que les deux anciens collègues avaient en commun dans leurs souvenirs professionnels, je les fis dériver sans m'en rendre compte sur la défunte constitution européenne. L'un avait voté Oui, l'autre Non. Et à ma grande surprise, c'était le plus engagé syndicalement qui avait fait le pari de l'Europe politique. Le nonniste, dont je me sentais le plus proche au départ, partit en trombes et tout d'un coup le ton monta entre les deux hommes. Je dus remplir leur verre de ce bon Bordeaux servi à foison par la maîtresse de maison pour calmer leurs ardeurs. Et quelques instants plus tard, ils repartirent de plus belles dans leurs anecdotes de grands garnements heureux lesquels déclenchaient de nombreux fous rires. Je quittai la table encore ensoleillée sous le coup de dix-neuf heures repu comme un pape après une campagne anti- préservatif. Ma femme m'attendait dans la 206 diesel bouillante en double file. Elle avait passé son après-midi dans les magasins afin de refaire une énième fois sa garde-robe. Lorsqu'elle me questionna sur l'atmosphère de mon barbecue, je lui répondis que je craignais de manquer mon train lundi matin. Elle fronça les sourcils. Je suis persuadé qu'elle ne comprit rien à ce bref résumé. Moi non plus d’ailleurs. Ecrit par Raskolnikov, le Lundi 20 Juin 2005, 19:08 dans la rubrique "Personnel".
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Moi, Raskolnikov
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